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"La Géographie n'est autre chose que l'Histoire dans l'espace, de même que l'Histoire est la Géographie dans le temps." Elisée Reclus, L'Homme et la Terre, 1905.

L'objectif de ce site est de faire connaître l'épistémologie et les didactiques de la Géohistoire. Il veut être un lieu centralisant les différentes actualités géohistoriques aussi bien dans l'Enseignement que dans la Recherche.

lundi 27 mai 2024

[Biographie] Christian Grataloup, un géohistorien en liberté : #4 Le temps du basculement (les années 1990)

 BIOGRAPHIE


Christian Grataloup, un géohistorien en liberté

 #4 Le temps du basculement (les années 1990)


Christian Grataloup
(Source photo : cliché personnel de C. Grataloup)


1-François Durand-Dastès, son maître à penser.


            François Durand-Dastès[1] a écrit peu de livres. Néanmoins, il en a rédigé suite à des commandes. Dans les années 1960, Pierre Georges lui demande de publier une Géographie des airs[2]. Spécialiste de l’Inde, Durand-Dastès en écrit une géographie[3]. Au milieu des années 1990, Brunet lui propose d’être responsable d’un des volumes de la Géographie Universelle[4].  Opposé au système de la thèse d’État telle qu’elle était pratiquée dans la géographie très traditionnaliste des années 1960-70, il abandonne celle commencée sur le climat indien. Il aurait donc fini sa carrière comme maître de conférences si Olivier Dollfus ne l’avait pas fortement incité à rédiger une Habilitation à Diriger des Recherches (HDR). Grâce à celle-ci, Durant-Dastès termine sa carrière universitaire à Paris 7. Ainsi, étant encore maître de conférences dans les années 1990, Grataloup ne put donc rédiger de thèse sous sa direction. Avec son accord, il se tourne alors vers un autre géographe, Roger Brunet.

 


2- Les années de doctorat avec Roger Brunet (1990-1994)


            Brunet était à ce moment-là directeur de la Maison de géographie à Montpellier[5] et directeur de recherche au CNRS. Il partageait donc son temps entre Montpellier et la capitale où il était habilité à diriger des thèses à Paris 1. N’ayant que peu de temps à consacrer à d’autres activités, il n’est pas étonnant qu’il ne prît que très peu de doctorants. Ce fut donc une chance pour Christian d’avoir été retenu. Brunet fut un relecteur extrêmement attentif et exigeant, sans être le moins du monde directif au sens le plus contraignant du terme.
            La thèse[6] fut soutenue en 1994. Le jury était composé à parts égales de trois femmes et de trois hommes :  Marie‑Claire Robic (directrice du laboratoire EHGO[7] dont Christian était membre), Denise Pumain (professeur à Paris 1), Maryvonne Le Berre (professeur à l’université de Besançon, représentant le groupe DUPONT), François Durant‑Dastès, l’historien Bernard Lepetit (secrétaire générale des Annales) et bien évidemment Roger Brunet.



3- Lieux d’histoire, de la didactique à la géohistoire.


            Au début des années 1990, la plupart des articles de Christian, enseignant du secondaire, puis de prépa jusqu’en 1994, relevait de la didactique. Cependant, sa thèse, même si elle contenait une part de didactique[8], fut essentiellement géohistorique. Ainsi, le début des années 1990 fut une période de basculement entre la didactique et la géohistoire. Progressivement, Grataloup apparaît davantage comme un géohistorien plus qu’un didacticien. Si dans les années 1980, la géohistoire avait une place mineure dans ses travaux, elle prend désormais toute sa place sans toutefois que la didactique soit abandonnée[9]. 
            Il propose à la Maison de la géographie de publier la partie centrale de son doctorat intitulé « [l’]espace, personnage historique » sous le titre Lieux d’histoire, essai de géohistoire systématique[10]. Sa particularité est d’être écrit à la fois sous forme de texte et en modèles graphiques à la façon de chorèmes. Ces derniers intégrés dans l’enseignement du primaire et du secondaire ont suscité des réactions virulentes de géographes conservateurs (Jean-Robert Pitte[11]), voire de géographes plus novateurs (Yves Lacoste[12]). Lieux d’histoire fut donc édité dans un contexte polémique, le clivage entre géographes étant très vif. Grataloup était vu comme un adversaire par les anti‑modélisateurs comme Lacoste. Brunet ne voulant pas s’opposer à ce dernier lors d’un débat, ce furent les élèves de chacun d’entre eux qui le firent. Béatrice Giblin[13] a ainsi beaucoup débattu avec Christian. Ces querelles entre géographes ont conforté Grataloup dans sa vision didactique de la pensée modélisatrice, les didacticiens étant d’ailleurs les principaux utilisateurs de la chorématique.
            En 1995, suite à l’élection de Jacques Chirac en tant que président de la République et le retour de la Droite au pouvoir, les géographes les plus réactionnaires en ont profité pour faire disparaître la Maison de la géographie. Les collections de livres de cette dernière ont donc disparu ou ont été reprises par d’autres maisons d’édition (notamment Belin). Les ouvrages plus pratiques ont été intégrés dans la Documentation française. Quant à elle, sans repreneur, la collection RECLUS a disparu. Lieux d’histoire, publié en 1996 au moment où cette collection disparaissait, a donc été très peu diffusé. De plus, la mort de l’historien Bernard Lepetit[14], à qui Lieux d’histoire était dédicacé, n’a pas permis de faire le lien avec la communauté historienne.
 


4-Maître de conférences à Reims.


            Le doctorat en poche, Grataloup devient maître de conférences à l’université de Reims[15]. Il y retrouve Alain Reynaud[16] au sein d’une petite équipe enseignante d’une douzaine de géographes. Habitant en Seine-Saint-Denis, les allers-retours entre Reims et Paris ne permettaient pas à Christian d’avoir une présence continue dans cette université pour s’occuper de manière optimale des étudiants.
            Pendant quatre ans (1994-1998), Christian fut en charge de quatre principaux enseignements. Le cours d’introduction à la géographie était destiné aux premières années. Les troisièmes années suivaient un cours de cartographie[17]. Reynaud avait placé pour eux un cours de géographie historique qui n’avait jamais existé jusque-là, assuré par Grataloup. Ce cours s’adressait aux géographes volontaires mais aussi aux historiens. Enfin, la préparation au CAPES d’Histoire‑Géographie était le quatrième et dernier enseignement. Il accepta aussi de diriger des mémoires de maîtrise[18].
            En 1996, Christian rédige son Habilitation à Diriger des Recherches[19] (HDR) à Paris 7, le rapporteur interne étant François Durant-Dastès. Devenu professeur, Grataloup quitte Reims pour  cette université.


Source :

Christian avant Grataloup, A la rencontre d'un géohistorien, entretien réalisé par Redwan EL ANBRI (octobre 2022). cliquez ici.

Entretien avec Christian Grataloup réalisé le 23 mai 2024 par Redwan EL ANBRI.


Article ajouté à la page consacrée à la biographie de Christian Grataloup.


[1] François Durand-Dastès (1931-2021) est un géographe français, spécialiste de l’Inde.
[2] DURAND-DASTES François, Géographie des Airs, Collection Magellan, Paris, 1969, 275 pages.
[3] DURAND-DASTES François, Géographie de l’Inde, Presses Universitaires de France, Collection « Que sais-je ? », 1965, 126 pages.
[4]DURAND-DASTES François, MUTIN Georges, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Monde indien, volume n°8 de la Géographie Universelle sous la direction de Roger Brunet, Belin-RECLUS,1995, 480 pages.

[5] Brunet en fut son créateur en 1984.
[6] GRATALOUP Christian, L’espace de la transition : essai de géohistoire chorématique, thèse de doctorat en géographie, sous la direction de Roger Brunet, 1994, Paris 1.
[7] Épistémologie et Histoire de la Géographie.
[8] Notamment le livre 3 « le laboratoire des jeux ».
[9] Christian Grataloup a dirigé un DEA puis un Master de didactique à Paris 7 entre 1998 et 2014.
[10] GRATALOUP Christian, Lieux d’histoire, essai de géohistoire systématique, GIP RECLUS, Collection Espaces mode d’emploi, Montpellier, 1996, 200 pages.
[11] Géographe spécialisé dans l’étude du paysage et de la gastronomie.
[12] A la fin des années 1970, il réintroduit l’étude de la géopolitique en France en la débarrassant de son image de « science nazie ».
[13] Béatrice Giblin (née en 1947) est une géographe et géopolitologue française. Yves Lacoste fut son directeur de thèse.
[14] Bernard Lepetit (1948-1996) est mort trois mois avant la publication de Lieux d’histoire.
[15] Brunet y avait créé le département de géographie dans les années 1960.
[16] Ainsi que son ami le géographe Jacques Lévy.
[17] C’est d’ailleurs là qu’il a inventé des jeux géographiques à destination des futurs enseignants d’Histoire‑Géographie, comme le jeu des localisations urbaines ou le jeu des quartiers urbains.
[18] Equivalent à la première année de Master actuellement.
[19] GRATALOUP Christian, Exposé synthétique des recherches en vue de l’obtention du diplôme d’habilitation à diriger des recherches, exposé réalisé sous la direction du Professeur François Durand-Dastès à l’Université de Paris 7, 236 pages.


jeudi 14 mars 2024

[Biographie] Christian Grataloup, un géohistorien en liberté : #3 Le doctorant (les années 1990)

  BIOGRAPHIE


Christian Grataloup, un géohistorien en liberté

 #3 Le doctorant (les années 1990)


Christian Grataloup
(Source photo : cliché personnel de C. Grataloup)

1-La nécessité d’une thèse.

Jusqu’au milieu des années 1980, le recrutement universitaire ne nécessitait pas d’avoir une thèse. Le remplacement du corps des maîtres assistants par celui de maîtres de conférences (1984) rendait obligatoire l’obtention d’une thèse pour intégrer administrativement le milieu universitaire. Christian Grataloup était déjà connu de ce dernier grâce à la revue EspacesTemps. Il rencontra des géographes modalisateurs lors de réunions. On l’associe donc rapidement à ce type de géographie. Dans le contexte de la victoire de François Mitterrand aux élections présidentielles de 1981, de nombreuses associations ont vu le jour : l’ancienne Association des assistants et des maîtres-assistants de géographie se fond dans la nouvelle Association Française de Développement de la Géographie (AFDG) créée en septembre 1981 aux Etats généraux de la géographie à Lyon. Cette dernière s’ouvre notamment aux enseignants du secondaire. Très vite, il intègre l’équipe animatrice de colloques comme Géoforum ou des Universités d’été. Fort de cette situation, à 40 ans, il décide d’officialiser son statut universitaire par la rédaction d’une thèse. Ancien géomorphologue, l’anthropologie le tente dans un premier temps, pour finalement choisir la géographie.

 

2-Brunet et le choc de la chorématique.

Christian était régulièrement présent à la Maison de la Géographie fondée par Roger Brunet à Montpellier en 1982. Sans être officiellement universitaire, ses différents articles publiés dans des revues comme l’Espace géographique ou l’Information géographique lui donne une certaine visibilité. Le premier choc fut la rencontre avec les chorèmes, mot inventé par Roger Brunet dans un article de 1980 dans l’Espace géographique[1]. Ces « structures élémentaires » ébauchent une grammaire de « [l’] organisation de l’espace ». Ce structuralisme spatial donnait un sens à des travaux de Christian. Ce dernier a donc eu l’idée d’utiliser la chorématique dans le domaine historique et plus précisément dans la géographie historique. L’objectif était d’analyser la présence de récurrences ou de transformations de structures historiques, d’étudier comment les permanences et les changements peuvent s’expliquer grâce à des structures géographiques. Grataloup envisage donc la création de structures chrono‑chorématiques[2]. Toutes ses réflexions ont vu d’abord le jour dans un contexte pédagogique, Christian considérant qu’elles étaient un moyen simple d’initier les élèves à la géographie modélisatrice. C’était aussi un moyen heuristique pour articuler cartes et récits. La thèse allait donc de soi pour formaliser ces travaux. En 1987, il se tourne donc naturellement vers Roger Brunet pour diriger sa thèse. Le maître de Christian Grataloup avec qui il était très lié, François Durand-Dastès, aurait pu être son directeur mais celui-ci n’a été professeur d’université que tardivement, et n’a d’ailleurs jamais fait de thèse lui‑même. À partir de 1984 et la création du corps des maîtres de conférences, l’inscription en doctorat nécessitait l’obtention d’un DEA[3]. Philippe Pinchemel, Marie-Claire Robic et Denise Pumain[4] lui ont donc dit de patienter un an avant de s’inscrire en thèse afin qu’ils le lui remettent. Ainsi comme pour le baccalauréat, Christian Grataloup a eu obtenue ce diplôme sans l’avoir passé officiellement. Cependant, Grataloup a quand même tenu à faire un petit projet d’écriture sur la modélisation géographique. Le DEA enfin en poche, Christian put s’inscrire en doctorat en 1990.

Roger Brunet fut un directeur de thèse exigeant, rappelant à l’ordre Christian quand celui-ci était en retard dans le rendu de ses travaux. Christian réutilise un certain nombre de ses anciens écrits. La problématique principale de la thèse, soutenue en janvier 1994, était l’application de la chorématique dans la géographie historique. Deux ans après, le corps principal a donné naissance à Lieux d’histoire[5].

 

3-La géohistoire d’Alain Reynaud.

Grataloup découvre la géohistoire grâce à Alain Reynaud. En 1972, ce dernier publie Epistémologie de la géomorphologie[6].  Bien que n’étant pas lui-même géomorphologue, ce qui lui a valu les foudres de cette corporation, cet ouvrage croise géomorphologie et philosophie. Pour Christian, ce livre fut une véritable révélation. L’un des principaux fils conducteurs est la dimension temporelle, comment expliquer un paysage géographique en en faisant un récit historique. Si on cherche un ancêtre aux chorèmes, il se trouve dans les manuels de géomorphologie, la cuesta[7] en étant un bon exemple. Cet ouvrage a tellement marqué Christian qu’il voulut lire d’autres ouvrages ou articles de Reynaud notamment par l’intermédiaire de la revue du TIGR (Travaux de l’Institut de Géographie de Reims). Le premier numéro d’EspacesTemps (1975) fût d’ailleurs envoyé à Reynaud. Ce dernier proposa à Jacques Lévy et à Christian de venir le présenter à ses étudiants. C’est donc à cette occasion que Christian rencontra Alain Reynaud en personne en 1976. Cette rencontre fut prolongée par des échanges épistolaires. Reynaud et Grataloup étaient tous deux des fidèles de Brunet, créateur du département de géographie de Reims et du TIGR[8]. En 1994, au moment où un poste était vacant à Reims, Alain Reynaud a donc évidemment poussé ses collègues à recruter Christian, quand ce dernier fut docteur et qualifié pour être maître de conférences. Ainsi pendant quatre ans, ce dernier enseigna dans un petit département de géographie composé seulement de dix enseignants. Cela l’a amené à travailler aussi bien avec des historiens qu’avec des étudiants de première année.  

Roger Brunet réussit à convaincre Alain Reynaud de publier ses travaux dans un livre intitulé Une géohistoire. La Chine des Printemps et des Automnes[9]. La chronique des Printemps et des Automnes raconte ce qui se passe année après année entre les différents royaumes chinois du Xe au Ve siècle avant notre ère. Reynaud en fit une étude géographique en s’intéressant aux mouvements migratoires, aux changements de poste des grands dignitaires, aux attaques et aux guerres entre royaumes, aux liens commerciaux avec les flux de caravanes… L’analyse de tous ces éléments relève des récurrences et des structures géographiques cartographiées dans son ouvrage. Cette recherche est placée sous l’égide du terme « géohistoire ». C’est sur ce point précis que Reynaud a fortement influencé Grataloup. Cependant, il n’a plus réutilisé ce terme pour aucun de ses autres travaux.

 

4- Bernard Lepetit, un historien géographe.

Christian découvre l’historien Bernard Lepetit grâce au groupe Dupont installé à Avignon[10]. Celui-ci se réunissait régulièrement lors de rencontres appelées Géopoint. Bernard Lepetit fut invité à l’une d’entre elles. Grataloup constate que cet historien utilise la géographie quantitative pour analyser l’organisation spatiale des réseaux urbains d’Ancien Régime et du XIXe siècle. Christian a d’ailleurs tenu à ce que Bernard Lepetit fasse partie de son jury de thèse[11]. Malheureusement, Lepetit mourut à l’âge de 47 ans le 31 mars 1996 d’un accident de voiture. Lieux d’histoire lui est d’ailleurs dédié.

 

 

5-Braudel, père de la géohistoire.

Le terme de « géohistoire » est utilisé pour la première fois par l’historien Fernand Braudel dans un article rédigé lors de sa captivité en Allemagne (entre 1940 et 1945) et intitulé « Géohistoire : la société, l’espace et le temps »[12]. Cependant, Braudel intéresse davantage Grataloup pour son récit factuel de la construction du niveau mondiale entre le XVe et le XVIIIe. Le principal héritage retenu par Christian de cet historien fut la réflexion en termes d’économie-monde et d’empire-monde. Au moment du colloque de Châteauvallon (octobre 1985) en l’honneur de Fernand Braudel, Christian Grataloup, alors en vacances au Mexique, ne put s’y rendre. Ce fut donc son ami Jean-Louis Margolin, présent à ce colloque, qui a proposé une interview à Braudel par la revue EspacesTemps. Ce dernier, décédant en novembre 1985, n’honora pas ce rendez-vous.


 Source :





[1] Roger Brunet, « La composition des modèles dans l’analyse spatiale », in L’Espace géographique, livraison numéro 4, 1980.

[2] Ces structures ou « principes » sont rassemblés sur notre site : https://gaiaclioalecole.blogspot.com/p/principe.html

[3] Le Diplôme d’Études Approfondies (DEA) fut créé en 1954. Il sanctionne la première année des études doctorales. Il est remplacé aujourd’hui par le master de recherche dans le cadre de la réforme LMD (Licence-Master-Doctorat) de 2002.

[4] Tous trois sont des géographes français.

[5] Grataloup Christian, Lieux d’histoire, Reclus, collection Espaces modes d’emploi, Montpellier, 1996, 200 pages.

[6] Reynaud Alain, Epistémologie de la Géomorphologie, Masson et Compagnie, Paris, 1971, 128 pages.

[7] En géomorphologie, la cuesta est une forme de relief dissymétrique superposant une couche résistante à une couche tendre, l'abrupt constituant le front de cuesta, la partie en pente douce le revers.

[8] Roger Brunet fonde la revue des Travaux de l’Institut de Géographie de Reims (TIGR) en 1969.

[9] Reynaud Alain, Une géohistoire. La Chine des Printemps et des Automnes, Reclus, collection Géographiques, Montpellier, 1992, 220 pages.

[10] Le groupe Dupont est une association formée au début des années 1970 de jeunes assistants en géographie isolés en province n’arrivant pas à se former à la géographie modélisatrice malgré leur connaissance des écrits de Brunet. Le nom du groupe Dupont fait évidemment référence au pont d’Avignon.

[11] Grataloup Christian, L’espace de la transition : essai de géohistoire chorématique, thèse de doctorat en géographie, sous la direction de Roger Brunet, soutenue à Paris 1 en 1994.

[12] Ribeiro Guilherme, « La genèse de la géohistoire chez Fernand Braudel : un chapitre de l'histoire de la pensée géographique », Annales de géographie, vol. 686, no. 4, 2012, pp. 329-346.


lundi 19 février 2024

[CR de lecture] CAPDEPUY Vincent, Le Monde ou rien. Histoire d’un concept géographique, Presses Universitaires de Lyon, 2023.

COMPTE-RENDU DE LECTURE

Le Monde ou Rien

CAPDEPUY Vincent, Le Monde ou rien. Histoire d’un concept géographique, Presses Universitaires de Lyon, collection Espaces critiques, 2023, 169 pages.


 

50 histoires de mondialisation[1] et Chroniques du bord du monde[2] sont les deux premiers livres écrits par le géohistorien Vincent Capdepuy. Vient de paraître son troisième ouvrage Le Monde ou rien. Histoire d’un concept géographique[3] dans la collection Espaces critiques aux Presses Universitaires de Lyon. Cette collection, dirigée par le géographe Philippe Pelletier, publie des travaux portant sur « [des] problématiques spatiales, territoriales et environnementales » situés entre deux logiques, celles historique et géographique[4].

Dès l’introduction, Vincent Capdepuy rappelle le parcours qui l’a mené de ses années estudiantines jusqu’à l’écriture de cet ouvrage, en passant par sa thèse[5] sous la direction de Christian Grataloup.

Comment penser le Monde ? Voilà la question que se pose l’auteur : Pour appuyer son archéologie lexicale, il insère des citations plus ou moins longues au sein de son texte construit grâce à une abondante bibliographie accumulée aux fils des ans et de ses recherches. Quels sont les principaux axes à retenir de cette publication ?

*   *   *

1-Le Monde, un singulier pluriel.

Du géographe-historien Ptolémée (IIe siècle avJC) au géohistorien Fernand Braudel (XXe siècle), l’auteur étudie les différents mots servant à désigner « le Monde ». Il analyse les équivalences, la synonymie ou non entre des termes comme Terrae, Kosmos, Oikoumene, Orbis, Universus ou Mundus. Ainsi, dans une visionromanocentrée, le monde romain équivaut au Monde (connu). Puis au fil des siècles, avec la « découverte » des autres mondes (chinois, arabe, asiatique, voire méditerranéen chez Braudel[6]…), « mondes » en vient à désigner des parties d’un tout, le Monde. Ce n’est que progressivement que les particularités des mondes définissent une singularité, le Monde avec une majuscule.

 

2-L’émergence du Monde.

Bien que « mondialisation » ne rentre dans les dictionnaires que dans les années 1980, ce terme et surtout son usage sont bien plus ancien que ce que nous pouvions imaginer. Il apparaît dès la fin du XIXe siècle-début XXe siècle. Cependant, il est exact qu’à la fin du XXe siècle, « mondialisation » prend un sens péjoratif notamment dans un contexte de chômage et de crise économique. Il se charge d’un sens plus économique, définissant essentiellement les échanges entre des espaces spécialisés, notamment les villes mondiales.

Il y a une compétition lexicale pour définir ce processus d’émergence : mondialisation, internationalisation, universalisation, globalisation, voire planétarisation s’échangent, se complètent voire s’opposent. Il existe une pléthore de mots pour dire et surtout penser le Monde. Mais tous ne sont pas équivalents, interchangeables, synonymes. Ainsi la globalisation n’est pas stricto sensu la mondialisation ; la mondialisation n’est pas la planétarisation.

 

3- Dire le Monde autrement.

D’autres mots dits « alternatifs » par Vincent Capdepuy ont été utilisés par des auteurs pour dire le Monde sans que ceux-ci soient totalement et parfaitement synonymes. De son côté, l’auteur différencie les trois termes suivants :

  •     La globalisation serait réservée à « un espace unique du globe terrestre par une interconnexion accrue [des humains] »[7],
  •        La planétarisation concerne « la prise de conscience environnementaliste subséquente à l’exploitation du milieu fini dans lequel les êtres humains et tous les autres êtres vivants peuvent subsister »[8],
  •      La mondialisation est « l’apparition d’un territoire commun par des êtres humains intégrés à une même société »[9].

On retrouve ici les trois concepts étudiés par la géographie : espace, milieu et territoire.


4-Défaire le Monde 

Le terme controversé de « démondialisation » est aujourd’hui utilisé aussi bien par les altermondialistes que par les souverainistes. Pour certains, la démondialisation se comprend dans le sens d’une souveraineté retrouvée, avec comme danger un retour du nationalisme et de la xénophobie. Comme le dit Vincent Capdepuy, « assumer de défaire le Monde est une défaite de la pensée »[10]. Il est de plus en plus difficile de faire Monde avec tout le monde, avec tous les mondes. La diversité (ethnique, religieuse, culturelle…) des mondes est une revanche sur la construction progressive du Monde.

*   *   *

    En conclusion, le concept de Monde est donc tout autant un objet géographique qu’un objet philosophique. Entre [l]e Monde ou rien, il existe tout un panel d’échelles géographiques et de réflexions philosophiques que nous décrit avec une langue précise et savante Vincent Capdepuy. On prend conscience, si ce n’était déjà pas le cas, que les mots usités par les différents auteurs ont une importance pour penser et caractériser le Monde. Ces mots traduisent une pensée voire une idéologie sous-jacente : Pourquoi ce terme plutôt qu’un autre, quelle(s) vision(s) du Monde ces mots trahissent ils ?


Compte-rendu ajouté à la page dédiée à Vincent Capdepuy. 


 

 



[1] CAPDEPUY Vincent, 50 histoires de mondialisations. De Néandertal à Wikipedia, Alma Editeur, 2018, 466 pages. Voir le compte-rendu de lecture sur notre site :

[2] CAPDEPUY Vincent, Chroniques du bord du monde. Histoire d’un désert entre Syrie, Irak et Arabie, Editions Payot et Rivages, 2021, 480 pages. Voir le compte-rendu de lecture sur notre site : https://gaiaclioalecole.blogspot.com/2021/10/cr-de-lecture-vincent-capdepuy.html

[3] CAPDEPUY Vincent, Le Monde ou rien. Histoire d’un concept géographique, Presses Universitaires de Lyon, collection Espaces critiques, 2023, 169 pages.

[5] CAPDEPUY Vincent, Entre Méditerranée et Mésopotamie : étude géohistorique d'un entre-deux plurimillénaire, soutenue en 2010 sous la direction de Christian Grataloup.

[6] BRAUDEL Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, Armand Colin, première édition 1949.

[7] CAPDEPUY Vincent, Le Monde ou rien. Histoire d’un concept géographique, p.111.

[8] Idem.

[9] Idem.

[10] Idem, page. 117.