Présentation


"La Géographie n'est autre chose que l'Histoire dans l'espace, de même que l'Histoire est la Géographie dans le temps." Elisée Reclus, L'Homme et la Terre, 1905.

L'objectif de ce site est de faire connaître l'épistémologie et les didactiques de la Géohistoire. Il veut être un lieu centralisant les différentes actualités géohistoriques aussi bien dans l'Enseignement que dans la Recherche.

Christian Grataloup, portrait par la revue CIRCE

  PORTRAIT


Christian Grataloup
(Source photo : cliché personnel de C. Grataloup)


Dans son numéro 14 du printemps 2021, la revue CIRCE consacre son éditorial à Christian Grataloup. 


Circé. Histoire, Savoirs, Sociétés est une revue semestrielle qui publie des articles et notes critiques sur tous les aspects de l’histoire, des lettres, des civilisations et des sciences humaines et sociales en général. Elle fut créée en 2011 par des étudiants de master d’histoire à la suite de la fondation de l’Institut d’Études Culturelles à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ). (En savoir plus sur la présentation de la revue en cliquant ici). 

L'entretien de Christian Grataloup est construit autour de trois axes majeurs; retrouvez ci-dessous la copie de cet entretien. La revue CIRCE met aussi à disposition la transcription par écrit de cet interview. 

  • 1-Histoire mondiale, géographie historique et géohistoire.
Revue CIRCE (ci-après RC) : Vous êtes l’un des chercheurs en sciences sociales qui a replacé l’histoire du vieux continent européen dans le temps long et l’espace mondial en dépassant sa seule vision occidentale. De quoi faut-il au juste parler pour qualifier votre méthode : histoire du monde, géographie historique ou géohistoire systémique par exemple ? En quoi votre méthode et sensibilité de géographe a une incidence particulière dans l’utilisation de ces notions ? Plus largement, comment vous situez-vous dans le champ disciplinaire français ?

Christian Grataloup, extraits (ci-après CG, extraits) : Je vais commencer par l'adjectif "disciplinaire" : je ne suis pas très disciplinaire. [...] Je veux dire par là qu'il y a de très grands blocs de connaissances : l'étude de la matière [...]; l'étude de la vie [...]; et puis d'autre part le social - le troisième continent- qui forme pour moi un ensemble solidaire que l'on ne peut penser et enseigner que globalement. Les traditions ont fait que l'on emploie un pluriel pour dire les "sciences sociales, alors qu'on ne dit pas "les physiques" ou "les biologies", mais ce pluriel est dommageable, me semble-t-il. 


Entretien partie 1/11

RC : En 2003, vous écriviez en conclusion d’un article intitulé « Les périodes de l’espace » paru dans la revue EspacesTemps : « les vieilles parties du monde ne sont pas plus les régions du Monde contemporain que les périodisations traditionnelles ne rendent compte d’une dynamique universelle ». En prenant l’exemple de ce décloisonnement du Vieux continent, quel rapport faites-vous entre les découpages temporels et spatiaux ? En quoi les discontinuités et continuités temporelles sont-elles des discontinuités et continuités spatiales ?

CG, extraits: Dire que les régions sont des périodes et les périodes des régions est pour moi une idée clé. [...] Penser en termes de temps-espace change complètement les choses parce qu'on a à ce moment-là une géographie des temporalités et les choses se situent les unes par rapport aux autres. Je résume souvent cela d'une formule : on a pour partie au moins l'histoire de ses voisins, les voisins ayant eux-mêmes des voisins, on a pour partie pour partie l'histoire des voisins des voisins. [...] De ce point de vue-là, le rapport entre les processus historiques et les localisations me semble un élément central. 


Entretien 2/11

RC : L’une des notions-clés de la géographie, l’échelle, transparaît de manière saillante dans vos travaux. Vos derniers ouvrages, les Atlas historiques, contiennent des centaines de cartes commentées. L’ensemble de cette production concerne plusieurs niveaux d’échelle, du macro (le monde entier) jusqu’au micro (quartier d’une ville) et des périodes historiques très longues (le million d’année, le millénaire, le siècle) comme plus courte (l’année, la journée). En quoi les dynamiques d’échelle et de période constituent des enjeux majeurs pour comprendre au mieux l’histoire mondiale des sociétés humaines ?

CG, extraits: Je ne vois pas comment on peut penser sans échelle. Cela dit, j'ai toujours été agacé par la manière dont les géographes aiment bien s'attribuer l'échelle, et faire de la géographie la discipline de l'échelle. Je crois que l'échelle est vraiment dans le pot commun des sciences sociales : les historiens pensent en échelle de temps, les économistes font de la micro et de la macro-économie. Nous sommes tous dans des structures scalaires, inévitablement.  

Entretien 3/11

RC : Toujours dans les Atlas historiques, vous avez mis en carte une grande multiplicité de faits sociaux jusqu’aux aspects les plus culturels comme la peinture ou les toits des bâtiments par exemple. Existe-t-il un sens à spatialiser tout fait de société ? Est-ce que tout peut être inscrit dans une démarche géographique ?

CG, extraits: Les atlas historiques sont une manière de penser spatialement l'ensemble des faits de société et, si possible, de les penser dans leur temporalité. J'ai d'ailleurs tenu à ce que, dans tout titre de carte, il y ait toujours une datation. Dans un atlas historique, il faut toujours dire que est la portée spatiale mais, comme on la voit, on n'a pas besoin de la définir - même si elle a été l'objet d'une discussion. Mais la portée temporelle, elle aussi, se discute et donc elle doit nécessairement s'avouer.

Entretien 4/11

RC : En Occident, la cartographie s’inscrit dans une longue tradition que l’on peut faire remonter au XVIe siècle. Comment s’est construite cette tradition ? Quelles contraintes pose-t-elle aujourd’hui dans la représentation cartographique scientifique et « grand public » ?

CG, extraits: [...] je trouve que parmi les préoccupations qu'on peut avoir à l'école, l'apprentissage de l'écriture graphique en général et cartographique en particulier avec éventuellement ses dynamiques actuelles est quelque chose auquel il faut penser. 

Entretien 5/11

  • 2- Un engagement pour une approche didactique de l’histoire-géographie.
RC : Lorsque vous étiez élève à l’ENS Cachan (aujourd’hui ENS Paris-Saclay) en 1975, vous organisiez un séminaire sur l’enseignement de l’histoire-géographie et fondiez avec Jacques Lévy la revue interdisciplinaire EspacesTemps qui était principalement composée d’historiens et de géographes. En France, à la différence des autres pays, l’histoire et la géographie sont enseignées ensemble dans l’enseignement secondaire. Quelles sont les raisons qui ont conduit et conduisent encore à l’association de ces deux disciplines ?

CG, extraits: Ce couple histoire-géographie est une particularité spécifiquement française. [...] C'est difficile de ne pas l'associer avec la forme de l'identité française qui est avant tout territoriale. [...] Si le territoire fabrique la société, le territoire et l'histoire sont donc la même chose : le couple histoire-géographie est alors logique. 
Entretien 6/11

RC : Vous avez été responsable de la spécialité histoire-géographie du master « Didactique des disciplines » de l’université Paris-Diderot qui s’est rapidement imposé comme un lieu privilégié de l’apprentissage des processus de transmission pédagogique au sein d’une discipline donnée. Comment s’est-fait ce choix ? Quelles sont les raisons qui donnent une cohérence au champ scientifique de la didactique pour l’histoire-géographie en particulier ?

Entretien 7/11

RC : Quelles sont les raisons qui font qu’une grande majorité des professeurs du secondaire en histoire-géographie ont fait des études d’histoire ? Comment expliquez-vous la différence du choix professionnel que font les étudiants en géographie qui se tournent vers le conseil, l’aménagement du territoire ou les métiers de l’environnement ?

Entretien 8/11
  • 3- Une approche vulgarisatrice de la géohistoire.
RC : Dans l’Introduction à la Géohistoire de la Mondialisation, vous articulez les échelles spatiales et temporelles en utilisant la forme du récit. Quelles sont les raisons qui vous ont conduit à faire un tel choix narratif ? Au fond, est-ce que la mise en récit de la géographie n’est-pas ce qui fait le géohistorien ? Peut-on penser que cette forme narrative constitue un atout pour rendre le propos intelligible et accessible au plus grand nombre ?

CG, extraits: La combinaison des deux [images et récit], et l'interpénétration des deux m'a toujours semblé être le meilleur moyen de répondre à la question temps / espace que j'évoquais avec des moyens simples. [...] Le récit est un mode important que j'ai beaucoup utilisé [...]

Entretien 9/11

RC : Dans le même ouvrage, vous posez la question du statut des spécialistes d’un thème ou d’une période et de leurs fréquents débats face aux généralistes comme vous qui proposent des explications plus englobantes et vulgarisatrices du processus géohistorique. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes chercheurs pour les aider à se positionner entre ces deux approches à la fois complémentaires et, parfois, en tension ? Selon vous, quels sont les lieux privilégiés et outils pour bien se former à la géohistoire ?

CG, extraits: Je n'ai jamais voulu et je me suis bien gardé [...] d'institutionnaliser le mot "géohistoire". [...] j'avais une peur bleue de voir apparaître quelque chose qui serait du genre "épreuve de géohistoire", de créer une chaire qui enfermerait dans un domaine spécialiste et non pas généraliste quelque chose qui, justement, doit être une dynamique transversale, rester flou, fluide, être aussi anthropologique ou ouvert sur l'économie. [...] je pense que la meilleur façon de faire la géohistoire c'est de faire de la géographie en histoire, tout simplement. Je milite à chaque fois [...] pour qu'on arrête de séparer l'histoire et la géographie [...] et faire des programmes ou laisser les enseignants avec une plus grande marge de manœuvre pour faire de la géographie à l'époque de Saint Louis, faire de l'anthropologie sur les Français du XIXe siècle [...] De ce fait, je me garde de toute cristallisation qui serait, à l'inverse, de ce genre de souhait. 
Entretien 10/11

RC : À travers vos différents travaux et interventions, vous donnez une grande importance à la vulgarisation dans une perspective générale de ressaisie du savoir par les citoyens. Vous vous définissez d’ailleurs comme un intellectuel qui s’engage dans la vie de la cité. Quelle est ou devrait être pour vous la place des universitaires dans le débat public et démocratique ?

Entretien 11/11


Suivez la revue Circé sur les réseaux sociaux :