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lundi 27 mai 2024

[Biographie] Christian Grataloup, un géohistorien en liberté : #4 Le temps du basculement (les années 1990)

 BIOGRAPHIE


Christian Grataloup, un géohistorien en liberté

 #4 Le temps du basculement (les années 1990)


Christian Grataloup
(Source photo : cliché personnel de C. Grataloup)


1-François Durand-Dastès, son maître à penser.


            François Durand-Dastès[1] a écrit peu de livres. Néanmoins, il en a rédigé suite à des commandes. Dans les années 1960, Pierre Georges lui demande de publier une Géographie des airs[2]. Spécialiste de l’Inde, Durand-Dastès en écrit une géographie[3]. Au milieu des années 1990, Brunet lui propose d’être responsable d’un des volumes de la Géographie Universelle[4].  Opposé au système de la thèse d’État telle qu’elle était pratiquée dans la géographie très traditionnaliste des années 1960-70, il abandonne celle commencée sur le climat indien. Il aurait donc fini sa carrière comme maître de conférences si Olivier Dollfus ne l’avait pas fortement incité à rédiger une Habilitation à Diriger des Recherches (HDR). Grâce à celle-ci, Durant-Dastès termine sa carrière universitaire à Paris 7. Ainsi, étant encore maître de conférences dans les années 1990, Grataloup ne put donc rédiger de thèse sous sa direction. Avec son accord, il se tourne alors vers un autre géographe, Roger Brunet.

 


2- Les années de doctorat avec Roger Brunet (1990-1994)


            Brunet était à ce moment-là directeur de la Maison de géographie à Montpellier[5] et directeur de recherche au CNRS. Il partageait donc son temps entre Montpellier et la capitale où il était habilité à diriger des thèses à Paris 1. N’ayant que peu de temps à consacrer à d’autres activités, il n’est pas étonnant qu’il ne prît que très peu de doctorants. Ce fut donc une chance pour Christian d’avoir été retenu. Brunet fut un relecteur extrêmement attentif et exigeant, sans être le moins du monde directif au sens le plus contraignant du terme.
            La thèse[6] fut soutenue en 1994. Le jury était composé à parts égales de trois femmes et de trois hommes :  Marie‑Claire Robic (directrice du laboratoire EHGO[7] dont Christian était membre), Denise Pumain (professeur à Paris 1), Maryvonne Le Berre (professeur à l’université de Besançon, représentant le groupe DUPONT), François Durant‑Dastès, l’historien Bernard Lepetit (secrétaire générale des Annales) et bien évidemment Roger Brunet.



3- Lieux d’histoire, de la didactique à la géohistoire.


            Au début des années 1990, la plupart des articles de Christian, enseignant du secondaire, puis de prépa jusqu’en 1994, relevait de la didactique. Cependant, sa thèse, même si elle contenait une part de didactique[8], fut essentiellement géohistorique. Ainsi, le début des années 1990 fut une période de basculement entre la didactique et la géohistoire. Progressivement, Grataloup apparaît davantage comme un géohistorien plus qu’un didacticien. Si dans les années 1980, la géohistoire avait une place mineure dans ses travaux, elle prend désormais toute sa place sans toutefois que la didactique soit abandonnée[9]. 
            Il propose à la Maison de la géographie de publier la partie centrale de son doctorat intitulé « [l’]espace, personnage historique » sous le titre Lieux d’histoire, essai de géohistoire systématique[10]. Sa particularité est d’être écrit à la fois sous forme de texte et en modèles graphiques à la façon de chorèmes. Ces derniers intégrés dans l’enseignement du primaire et du secondaire ont suscité des réactions virulentes de géographes conservateurs (Jean-Robert Pitte[11]), voire de géographes plus novateurs (Yves Lacoste[12]). Lieux d’histoire fut donc édité dans un contexte polémique, le clivage entre géographes étant très vif. Grataloup était vu comme un adversaire par les anti‑modélisateurs comme Lacoste. Brunet ne voulant pas s’opposer à ce dernier lors d’un débat, ce furent les élèves de chacun d’entre eux qui le firent. Béatrice Giblin[13] a ainsi beaucoup débattu avec Christian. Ces querelles entre géographes ont conforté Grataloup dans sa vision didactique de la pensée modélisatrice, les didacticiens étant d’ailleurs les principaux utilisateurs de la chorématique.
            En 1995, suite à l’élection de Jacques Chirac en tant que président de la République et le retour de la Droite au pouvoir, les géographes les plus réactionnaires en ont profité pour faire disparaître la Maison de la géographie. Les collections de livres de cette dernière ont donc disparu ou ont été reprises par d’autres maisons d’édition (notamment Belin). Les ouvrages plus pratiques ont été intégrés dans la Documentation française. Quant à elle, sans repreneur, la collection RECLUS a disparu. Lieux d’histoire, publié en 1996 au moment où cette collection disparaissait, a donc été très peu diffusé. De plus, la mort de l’historien Bernard Lepetit[14], à qui Lieux d’histoire était dédicacé, n’a pas permis de faire le lien avec la communauté historienne.
 


4-Maître de conférences à Reims.


            Le doctorat en poche, Grataloup devient maître de conférences à l’université de Reims[15]. Il y retrouve Alain Reynaud[16] au sein d’une petite équipe enseignante d’une douzaine de géographes. Habitant en Seine-Saint-Denis, les allers-retours entre Reims et Paris ne permettaient pas à Christian d’avoir une présence continue dans cette université pour s’occuper de manière optimale des étudiants.
            Pendant quatre ans (1994-1998), Christian fut en charge de quatre principaux enseignements. Le cours d’introduction à la géographie était destiné aux premières années. Les troisièmes années suivaient un cours de cartographie[17]. Reynaud avait placé pour eux un cours de géographie historique qui n’avait jamais existé jusque-là, assuré par Grataloup. Ce cours s’adressait aux géographes volontaires mais aussi aux historiens. Enfin, la préparation au CAPES d’Histoire‑Géographie était le quatrième et dernier enseignement. Il accepta aussi de diriger des mémoires de maîtrise[18].
            En 1996, Christian rédige son Habilitation à Diriger des Recherches[19] (HDR) à Paris 7, le rapporteur interne étant François Durant-Dastès. Devenu professeur, Grataloup quitte Reims pour  cette université.


Source :

Christian avant Grataloup, A la rencontre d'un géohistorien, entretien réalisé par Redwan EL ANBRI (octobre 2022). cliquez ici.

Entretien avec Christian Grataloup réalisé le 23 mai 2024 par Redwan EL ANBRI.


Article ajouté à la page consacrée à la biographie de Christian Grataloup.


[1] François Durand-Dastès (1931-2021) est un géographe français, spécialiste de l’Inde.
[2] DURAND-DASTES François, Géographie des Airs, Collection Magellan, Paris, 1969, 275 pages.
[3] DURAND-DASTES François, Géographie de l’Inde, Presses Universitaires de France, Collection « Que sais-je ? », 1965, 126 pages.
[4]DURAND-DASTES François, MUTIN Georges, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Monde indien, volume n°8 de la Géographie Universelle sous la direction de Roger Brunet, Belin-RECLUS,1995, 480 pages.

[5] Brunet en fut son créateur en 1984.
[6] GRATALOUP Christian, L’espace de la transition : essai de géohistoire chorématique, thèse de doctorat en géographie, sous la direction de Roger Brunet, 1994, Paris 1.
[7] Épistémologie et Histoire de la Géographie.
[8] Notamment le livre 3 « le laboratoire des jeux ».
[9] Christian Grataloup a dirigé un DEA puis un Master de didactique à Paris 7 entre 1998 et 2014.
[10] GRATALOUP Christian, Lieux d’histoire, essai de géohistoire systématique, GIP RECLUS, Collection Espaces mode d’emploi, Montpellier, 1996, 200 pages.
[11] Géographe spécialisé dans l’étude du paysage et de la gastronomie.
[12] A la fin des années 1970, il réintroduit l’étude de la géopolitique en France en la débarrassant de son image de « science nazie ».
[13] Béatrice Giblin (née en 1947) est une géographe et géopolitologue française. Yves Lacoste fut son directeur de thèse.
[14] Bernard Lepetit (1948-1996) est mort trois mois avant la publication de Lieux d’histoire.
[15] Brunet y avait créé le département de géographie dans les années 1960.
[16] Ainsi que son ami le géographe Jacques Lévy.
[17] C’est d’ailleurs là qu’il a inventé des jeux géographiques à destination des futurs enseignants d’Histoire‑Géographie, comme le jeu des localisations urbaines ou le jeu des quartiers urbains.
[18] Equivalent à la première année de Master actuellement.
[19] GRATALOUP Christian, Exposé synthétique des recherches en vue de l’obtention du diplôme d’habilitation à diriger des recherches, exposé réalisé sous la direction du Professeur François Durand-Dastès à l’Université de Paris 7, 236 pages.