Christian Grataloup, un géohistorien en liberté
#4 Le temps du basculement (les années 1990)
1-François Durand-Dastès, son maître à penser.
Brunet
était à ce moment-là directeur de la Maison de géographie à Montpellier[5]
et directeur de recherche au CNRS. Il partageait donc son temps entre Montpellier
et la capitale où il était habilité à diriger des thèses à Paris 1. N’ayant que
peu de temps à consacrer à d’autres activités, il n’est pas étonnant qu’il ne prît
que très peu de doctorants. Ce fut donc une chance pour Christian d’avoir été retenu. Brunet
fut un relecteur extrêmement attentif et exigeant, sans être le moins du monde
directif au sens le plus contraignant du terme.
3- Lieux d’histoire,
de la didactique à la géohistoire.
Au
début des années 1990, la plupart des articles de Christian, enseignant du
secondaire, puis de prépa jusqu’en 1994, relevait de la didactique. Cependant,
sa thèse, même si elle contenait une part de didactique[8],
fut essentiellement géohistorique. Ainsi, le début des années 1990 fut une
période de basculement entre la didactique et la géohistoire. Progressivement,
Grataloup apparaît davantage comme un géohistorien plus qu’un didacticien. Si
dans les années 1980, la géohistoire avait une place mineure dans ses travaux,
elle prend désormais toute sa place sans toutefois que la didactique soit
abandonnée[9].
Il
propose à la Maison de la géographie de publier la partie centrale de son
doctorat intitulé « [l’]espace, personnage historique » sous le titre
Lieux d’histoire, essai de géohistoire systématique[10].
Sa particularité est d’être écrit à la fois sous forme de texte et en modèles
graphiques à la façon de chorèmes. Ces derniers intégrés dans l’enseignement du
primaire et du secondaire ont suscité des réactions virulentes de géographes
conservateurs (Jean-Robert Pitte[11]),
voire de géographes plus novateurs (Yves Lacoste[12]).
Lieux d’histoire fut donc édité dans un contexte polémique, le clivage
entre géographes étant très vif. Grataloup était vu comme un adversaire par les
anti‑modélisateurs comme Lacoste. Brunet ne voulant pas s’opposer à ce dernier
lors d’un débat, ce furent les élèves de chacun d’entre eux qui le firent. Béatrice
Giblin[13]
a ainsi beaucoup débattu avec Christian. Ces querelles entre géographes ont
conforté Grataloup dans sa vision didactique de la pensée modélisatrice, les
didacticiens étant d’ailleurs les principaux utilisateurs de la chorématique.
En
1995, suite à l’élection de Jacques Chirac en tant que président de la
République et le retour de la Droite au pouvoir, les géographes les plus
réactionnaires en ont profité pour faire disparaître la Maison de la
géographie. Les collections de livres de cette dernière ont donc disparu ou ont
été reprises par d’autres maisons d’édition (notamment Belin). Les ouvrages
plus pratiques ont été intégrés dans la Documentation française. Quant à
elle, sans repreneur, la collection RECLUS a disparu. Lieux d’histoire, publié
en 1996 au moment où cette collection disparaissait, a donc été très peu
diffusé. De plus, la mort de l’historien Bernard Lepetit[14],
à qui Lieux d’histoire était dédicacé, n’a pas permis de faire le lien
avec la communauté historienne.
Le
doctorat en poche, Grataloup devient maître de conférences à l’université de
Reims[15].
Il y retrouve Alain Reynaud[16]
au sein d’une petite équipe enseignante d’une douzaine de géographes. Habitant
en Seine-Saint-Denis, les allers-retours entre Reims et Paris ne permettaient
pas à Christian d’avoir une présence continue dans cette université pour
s’occuper de manière optimale des étudiants.
Pendant
quatre ans (1994-1998), Christian fut en charge de quatre principaux
enseignements. Le cours d’introduction à la géographie était destiné aux
premières années. Les troisièmes années suivaient un cours de cartographie[17].
Reynaud avait placé pour eux un cours de géographie historique qui n’avait
jamais existé jusque-là, assuré par Grataloup. Ce cours s’adressait aux
géographes volontaires mais aussi aux historiens. Enfin, la préparation au
CAPES d’Histoire‑Géographie était le quatrième et dernier enseignement. Il accepta
aussi de diriger des mémoires de maîtrise[18].
En
1996, Christian rédige son Habilitation à Diriger des Recherches[19]
(HDR) à Paris 7, le rapporteur interne étant François Durant-Dastès. Devenu
professeur, Grataloup quitte Reims pour cette université.
Source :
Christian avant Grataloup, A la rencontre d'un géohistorien, entretien réalisé par Redwan EL ANBRI (octobre 2022). cliquez ici.
Entretien avec Christian Grataloup réalisé le 23 mai 2024 par Redwan EL ANBRI.
Article ajouté à la page consacrée à la biographie de Christian Grataloup.
[2] DURAND-DASTES François, Géographie des Airs, Collection Magellan, Paris, 1969, 275 pages.
[3] DURAND-DASTES François, Géographie de l’Inde, Presses Universitaires de France, Collection « Que sais-je ? », 1965, 126 pages.
[4]DURAND-DASTES François, MUTIN Georges, Afrique du Nord, Moyen-Orient, Monde indien, volume n°8 de la Géographie Universelle sous la direction de Roger Brunet, Belin-RECLUS,1995, 480 pages.
[6] GRATALOUP Christian, L’espace de la transition : essai de géohistoire chorématique, thèse de doctorat en géographie, sous la direction de Roger Brunet, 1994, Paris 1.
[7] Épistémologie et Histoire de la Géographie.
[8] Notamment le livre 3 « le laboratoire des jeux ».
[9] Christian Grataloup a dirigé un DEA puis un Master de didactique à Paris 7 entre 1998 et 2014.
[10] GRATALOUP Christian, Lieux d’histoire, essai de géohistoire systématique, GIP RECLUS, Collection Espaces mode d’emploi, Montpellier, 1996, 200 pages.
[11] Géographe spécialisé dans l’étude du paysage et de la gastronomie.
[12] A la fin des années 1970, il réintroduit l’étude de la géopolitique en France en la débarrassant de son image de « science nazie ».
[13] Béatrice Giblin (née en 1947) est une géographe et géopolitologue française. Yves Lacoste fut son directeur de thèse.
[14] Bernard Lepetit (1948-1996) est mort trois mois avant la publication de Lieux d’histoire.
[15] Brunet y avait créé le département de géographie dans les années 1960.
[16] Ainsi que son ami le géographe Jacques Lévy.
[17] C’est d’ailleurs là qu’il a inventé des jeux géographiques à destination des futurs enseignants d’Histoire‑Géographie, comme le jeu des localisations urbaines ou le jeu des quartiers urbains.
[18] Equivalent à la première année de Master actuellement.
[19] GRATALOUP Christian, Exposé synthétique des recherches en vue de l’obtention du diplôme d’habilitation à diriger des recherches, exposé réalisé sous la direction du Professeur François Durand-Dastès à l’Université de Paris 7, 236 pages.