COMPTE-RENDU DE LECTURE
GRATALOUP Christian , Géohistoire. Une autre histoire des humains sur la Terre, Les Arènes, 2023, 451 pages.
En ce mois d’octobre 2023, les Arènes publient un nouvel ouvrage de
Christian Grataloup intitulé Géohistoire. Une autre histoire des humains sur
la Terre. Ce livre se place très clairement dans la continuité des trois
atlas historiques[1] édités eux
aussi aux Arènes dont il prolonge la réflexion (l’Atlas historique mondiale,
l’Atlas historique de la France et l’Atlas historique de la Terre).
Christian Grataloup nous propose une autre histoire des humains sur la Terre et
non une histoire mondiale des humains. S’il est coutume de dire que derrière
chaque (grand) homme se cache une femme, Christian Grataloup n'oublie pas de
remercier, à la fin du livre, sa géographe de femme Anne-Marie Guérin-Grataloup
pour sa relecture précise et attentive. Quels sont donc les grands axes à retenir
de la lecture de cet ouvrage ?
1- L’entrelacement de
l’Espace et du Temps.
Géohistoire est véritablement un ouvrage géohistorique. C’est
évidemment une lapalissade de le souligner. La géohistoire a pour ADN de lier
l’Espace et le Temps sans ordre de préséance. En (al)liant le Temps et
l’Espace, l’EspaceTemps s’écrit sans trait d’(de dés)union. La géographie
éclaire l’histoire et réciproquement. L’auteur l’explique lui-même dans son
avant-propos : ce livre se donne pour objectif d’ « éclairer
ce que l’histoire des sociétés doit à leur espace » (p.7), « l’histoire
est géographique ». (p.8). Attention cependant, celui-ci n’est pas un
manuel d’épistémologie. Pour cela, le lecteur intéressé se reportera à l’Introduction
à la géohistoire[2].
La principale nouveauté est la réflexion géohistorique sur ce que
Christian Grataloup appelle « l’Axe » (avec un A majuscule) de
l’Eufrasie qui court de l’extrême Occident (l’Europe) à l’extrême Orient (la
Chine et le Japon). L’auteur étudie la mise en place de la connexion
progressive de ce vaste espace. Pour cela, il construit un récit autant
cartographique que textuel.
2- Un récit cartographique et textuel.
L’ouvrage est composé de deux formats de cartes : des cartes provenant
de l’atlas central en couleurs et des cartes en noirs et blancs plus réduites
insérées directement dans le corps du texte. Celles de l’atlas central ont été
conçues par la même équipe que les précédentes réalisées pour les trois atlas,
à savoir l’agence Légendes Cartographies. La durée historique se lit
donc avec des arrêts sur images géographiques. La réciproque n’est pas tout à
fait exacte car aucune carte en couleurs ne renvoie à un chapitre ou à une
partie de chapitre, à l’aide par exemple d’une note de bas de carte qui aurait
permis un véritable aller-retour entre celle-ci et le texte.
3- Et si Christian Grataloup avait été….Brésilien.
L’autre intérêt de ce livre est l’usage de l’uchronie. A partir d’un fait
historique avéré, en supposant la modification de certains paramètres, l’auteur
se pose la question de ce qui aurait pu arriver. Par exemple, que se serait-il
passé si le navigateur chinois Zheng He avait contourné l’Afrique pour arriver
en Europe avant que le portugais Vasco de Gama ne « découvre »
l’Asie ? (p.258) Que se serait-il passé si le Monde était né en Polynésie
et non en Europe ? (p.155) L’uchronie a comme avantage de mettre en lumière les
possibles non réalisés dans le Temps et dans l’Espace d’un fait social. Cette
utilisation de l’uchronie démontre qu’il n’existe pas de fatalité historique,
comme il n’y a pas de déterminisme géographique. A nous donc de nous poser la
question suivante : Et si Christian Grataloup avait été Brésilien, qu’en
aurait-il été de la géohistoire en France ?
Géohistoire, une somme.
En conclusion, cet
ouvrage est un condensé des principales idées de Christian Grataloup
développées depuis le milieu des années 1970. Une somme dans les deux sens, à
la fois quantitative et qualitative :
- Une somme de toutes ses recherches, conférences développées depuis le milieu des années 1970.
- Une somme, un ouvrage de référence pour les années à venir qui n’a pas peur d’étudier les grands espaces sur la longue durée à la Braudel.
Ce livre est à la fois transdiciplinaire (il utilise toutes les
sciences de la société), a-disciplinaire (il ne s’enferme dans aucune
discipline) et indiscipliné (il ne respecte pas les frontières
académiques entre les sciences du social). A la fin de ce compte-rendu, une
question lancinante nous reste en tête : qui est le véritable acteur de ce
livre ? les humains ou la Terre ? Dans les premiers chapitres, la
Terre impose ses contraintes géographiques à l’histoire humaine (exemple
de l’isthme de la Béringie durant le Quaternaire formant un pont terrestre permettant
le peuplement humain de l’Asie vers l’Amérique), jusqu’à très récemment (début
de l’ère du carbone fossile au XVIIIe siècle). A partir de cette dernière
période, le rapport s’inverse, les humains impriment leur marque écologique à
la Terre. Le réchauffement climatique est la réponse terrestre à cette
contrainte humaine. Pour finir, on a tous en mémoire l’inversion demandée par
l’historien Lucien Febvre à Fernand Braudel à propos de sa Méditerranée au
temps de Philippe II. L’ouvrage de Christian Grataloup aurait-il été le
même s’il s’était intitulé Géohistoire. Une autre histoire de la Terre au
temps des humains ?
Compte-rendu ajouté à la page dédiée à Christian Grataloup : Le Monde et la mondialisation