Christian Grataloup, un géohistorien en liberté
#2 L’exploration des sciences sociales (années 1970-1990)
1- La (re)découverte de la géographie.
En parallèle de son inscription en hypokhâgne puis khâgne à Lyon, il s’inscrit en Licence d’histoire afin d’avoir une
équivalence. En classe prépa, il prend goût grâce à la seconde femme de
Michel Vovelle, la géographe Monique Rebotier, à la géographie et à l’ensemble
des sciences sociales (sociologie notamment avec les écrits de Pierre Bourdieu…).
Elle entraînait ses étudiants au commentaire de cartes. L’objectif était de construire un récit
géomorphologique à partir d’une carte, d’un espace. Cet exercice, très
traditionnel inséré dans un bain de sciences sociales, a fait basculer
Christian de l’histoire vers la géographie. L’assistant en géographie à l’ENSET,
Albert Plet, lui conseille de s’inscrire à Paris‑7 Jussieu, université davantage
scientifique en géomorphologie. L’UER de Paris 7 était une UER de géographie,
histoire, sciences sociales.
En 1974, il obtient l’agrégation externe de géographie avec son ami
Jacques Lévy. Ensemble, ils discutent de la refondation des sciences sociales,
plus spécialement de la géographie. Ces discussions ont mené à la création
d’une nouvelle revue EspaceTemps, dont il propose le nom. Son goût pour la géomorphologie se lit
dans ses articles du numéro 1 de cette nouvelle revue[1]
créée à l’Ecole Normale Supérieure de l’Enseignement Technique (ENSET) de
Cachan[2].
2-Le bain des sciences sociales à Paris 7.
A Jussieu, il suit des enseignements en co-présence : des
professeurs de différentes disciplines étaient présents au même moment, notamment
lors d’un cours portant sur « Les Sud » (pays en voie de
développement) : Olivier Dollfus pour l’Amérique latine, Henri Moniot pour
l’Afrique Noire… L’objectif était de mélanger histoire et géographie sur une
idée de l’historien Pierre Vidal-Naquet. Ce dernier voulait supprimer les
découpages historiques et géographiques pour gommer les différences entre
médiévistes, contemporanéistes et la spécialisation en aires géographiques.
Cette pratique transdisciplinaire a conforté Christian dans son choix de
s’intéresser à l’ensemble des sciences sociales et pas seulement à la
géographie, à la climatologie ou à la démographie… Pendant longtemps, il
hésitera sur sa thématique pour un 3e cycle, ne sachant que choisir
entre la géographie, la préhistoire ou l’anthropologie. L’agrégation en poche,
Christian décide de s’inscrire en Licence d’ethnologie-anthropologie.
A la fin des années 1970, la géomorphologie classique se faisait en
dehors de toute considération pour la présence des sociétés humaines. Très tôt,
Christian lit les ouvrages de l’anthropologue Maurice Godelier et surtout de l’historien
Fernand Braudel (La Méditerranée, Grammaire des Civilisations, Civilisation
Matérielle[3]) :
dans ces ouvrages, il retrouve les liens entre les fondements de la géographie
physique, la démarche anthropologique, l’économie et la sociologie. Il décide
de rompre avec la géomorphologie pour se consacrer entièrement à des questions
historiques (comme l’histoire mongole par exemple) pour construire des modèles
et ainsi se situer dans les courants de modélisation que cristallisait
progressivement le géographe Roger Brunet. Le jeune Christian essaie ainsi de
mélanger les approches de Braudel et de Brunet. L’étudiant Grataloup n’a jamais
rencontré la géographie historique tout simplement parce qu’en France on
n’enseignait pas cette discipline, contrairement à d’autres pays comme le
Royaume-Uni. Le peu de géographie historique se faisait à Paris 4. Même s’il connaissait le terme de géohistoire
inventé par Fernand Braudel, il n’y a accordé de l’importance que grâce à l’ouvrage
d’Alain Reynaud Une géohistoire.
La Chine des Printemps et des Automnes[4].
Au début des années 1980, il fait sien ce terme.
Après 1972 et jusqu’aux milieu des années 1980, les postes universitaires se firent de plus en plus rares. C’est pourquoi, Christian fut professeur de collège durant 5 ans. Ce rétrécissement du nombre de postes universitaires lui a permis de ne pas se faire enfermer dans une case universitaire d’assistant en géomorphologie. L’enseignement dans le secondaire était dans la droite ligne de ce qu’il faisait à l’ENS où il avait fondé un séminaire réflexif sur l’enseignement. Les réunions bihebdomaires de l’équipe d’EspacesTemps (Christian Grataloup et Jacques Lévy pour la géographie, Jean-Louis Margolin, Patrick Garcia, François Dosse pour l’histoire) fut le lieu où Christian développa sa réflexion combinant histoire et géographie à grande échelle dans la continuité des travaux de Fernand Braudel.
[1] « Les
contacts morphologiques », EspacesTemps, volume 1, 1975, pp.18-25.
« Le concept de forme de relief », EspacesTemps,
volume 1, 1975, pp.23-32.
« La géographie aux champs », Espaces
Temps, volume 1, 1975, pp.26-28.
« Le fond et la forme. De l'épistémologie de la
géomorphologie à la subjectivité spatiale », EspacesTemps, volume
1, 1975, pp.66-72.
[2]
« Manifeste », EspacesTemps, volume 4, 1976, p.3.
[3] Braudel
Fernand, La Méditerranée et le monde
méditerranéen à l’époque de Philippe II, Armand Colin, 1949 (1ère
édition, 1966 (2e édition). Grammaire
des civilisations, 1963 (1ère édition). Civilisation matérielle, économie et capitalisme XVe-XVIIIe siècle,
Armand Colin, réédition 1979, 3 volumes.
[4] Reynaud
Alain, Une géohistoire. La Chine des
Printemps et des Automnes, Montpellier, Reclus, 1992, 220 pages.