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"La Géographie n'est autre chose que l'Histoire dans l'espace, de même que l'Histoire est la Géographie dans le temps." Elisée Reclus, L'Homme et la Terre, 1905.

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mardi 8 mars 2022

[Recherche] Enseigner la géohistoire : quelle place pour l’hybridation interne ?

RECHERCHE

Nous relayons ici la proposition de contribution de Corentin Babin lors du colloque international des didactiques de l'histoire, de la géographie et de l'éducation à la citoyenneté. 

Enseigner la géohistoire : 
quelle place pour l’hybridation interne ? 
Par BABIN Corentin, Doctorant en géographie – 
Université de Caen Normandie (ESO-Caen – UMR 6590)

    Cette communication vise d’une part à présenter et expliciter la situation de la géohistoire dans les programmes du secondaire et d’autre part à mettre au jour les relations entretenues par les enseignant·e.s avec la géohistoire, un objet hybride, à la frontière entre les deux disciplines pratiquées. La géohistoire peut être définie comme une approche transdisciplinaire, étudiant les sociétés à travers le temps et l’espace. Si le terme géohistoire fut forgé dans les années 1940 par F. Braudel, les géographes se sont appropriés le terme à partir du milieu des années 1990. C’est aujourd’hui un champ de recherche dynamique, au domaine de validité large comme la géohistoire de l’environnement[1], de la mondialisation[2], la métagéographie[3] pour n’en citer que quelques-uns. La géohistoire met sur un même plan les temporalités et les spatialités des sociétés, aucune approche ne prenant le pas sur l’autre ; le raisonnement géohistorique traversant ces deux dimensions afin de saisir la complexité des objets étudiés et dans le cas particulier de la géohistoire développée par C. Grataloup elle cherche à mettre à jour des « scénarii », c’est-à-dire des configurations spatiales récurrentes.

    A partir de cette définition que nous qualifions de référence scientifique (sur le même principe que les disciplines de référence sur lesquelles s’appuient l’histoire-géographie), nous analyserons dans un premier temps les programmes du collège et du lycée du milieu des années 1990 à aujourd’hui. L’histoire et la géographie étant associées dans les salles de classe depuis le XIXème siècle, elles sont enseignées par les mêmes praticen·nes, formant un « couple scolaire » (Antoine Prost[4]) issu d’un mariage plus politique que scientifique. Dès lors, il nous paraît intéressant de déterminer quelle est la place réservée à la géohistoire et ses raisonnements, hybrides par nature au sein des programmes. Comment les avancées géohistoriques, issues de travaux transdisciplinaires sont-elles intégrées au sein de disciplines scolaires territorialisées, construites à travers des domaines et perspectives bien délimitées (Y. Reuter[5]) ? Nous démontrerons alors que cette place est très réduite, en raison de différents éléments liés tant à la nature scolaire de l’histoire-géographie qu’aux disciplines de référence. Ainsi la forme scolaire et la structure disciplinaire (dont un paradigme encore marqué par le positivisme[6]), qui régissent l’organisation des savoirs à enseigner sont des freins à l’hybridation des savoirs dans les programmes. La vulgate ainsi que la situation particulière de la géohistoire dans les enseignements à l’université participent aussi à cette marginalisation de la géohistoire, en manque de légitimité pour s’imposer, ne trouvant pas sa place.

    Partant de ces éléments, nous étudierons dans un second temps le rapport que les enseignant·e·s entretiennent avec la géohistoire : les derniers apports de la recherche géohistorique sont-ils mobilisés ? Comme expert·e·s de la formation historique et géographique, peut-on qualifier les enseigant·e·s de passeurs ou de freins à la mise en place d’apprentissages géohistoriques ? Pour répondre à ces questions, nous exploiterons des données issues de questionnaires afin d’avoir un panorama, tant de l’actualisation des connaissances des enseignant·e·s que de leurs pratiques en classe. Pour éclairer les réponses aux questionnaires, nous mobiliserons les concepts de conscience disciplinaire et d’identité professionnelle. En effet, rappelons qu’au sein du corps enseignant, une large majorité a reçu une formation historienne. L’essentiel de la géographie connue des enseignant·e·s est donc celle qu’ils et elles ont pratiqué lors de leur cursus dans le secondaire, or la construction de l’identité professionnelle ne peut pas être séparée des expériences scolaires ou professionnelles les plus proches de l’entrée dans le métier[7]. La formation universitaire joue donc un rôle fort dans la construction des pratiques et identités professionnelles, ce qui nous invite à poser l’hypothèse suivante, discutée lors de la communication : la conscience disciplinaire des enseignant·e·s d’histoire-géographie, fondée sur la bivalence, agirait comme une bride à la construction d’une approche géohistorique, ne leur permettant pas de construire des espaces d’apprentissage spécifiques à la géohistoire.


[1] VALETTE P., CAROZZA J.-M. (2019), Géohistoire de l’environnement et des paysages, Paris, CNRS éditions, 442p.
[2] GRATALOUP C. (2019), Géohistoire de la mondialisation : le temps long du monde, Paris, Armand Colin, 344p
[3] CAPDEPUY V. (2008), « Proche ou Moyen-Orient ? Géohistoire de la notion de Middle East », L’Espace géographique, vol. 37, no. 3, pp. 225-238.
[4] PROST A., (1998) « Un couple scolaire », Espaces Temps, Histoire/géographie, 1. L’arrangement, pp. 55-64.
[5] REUTER Y., (2014), « Construire la catégorie de discipline scolaire en didactique(s) », Linguarum Arena, 5, pp. 79-95
[6] TUTIAUX-GUILLON N. (2008), « Interpréter la stabilité d’une discipline scolaire : l’histoire-géographie dans le secondaire français », in AUDIGIER F. et al., Compétences et contenus, Bruxelles, De Boeck Supérieur, pp. 117-146
[7] MONNIER-SILVA A. C. & WEISS L. (2019), « La conscience disciplinaire des futurs enseignants spécialistes de la physique ou du français: construction et/ou déconstruction en formation initiale ? », Enseignement et formation : éclairages de la didactique comparée, Toulouse, Presses universitaires du Midi, pp. 187-202
THEMINES J.-F. (2015), « Entre discipline et métier : des professeurs stagiaires d’histoire-géographie face à la professionnalisation », in BODERGAT J.-Y., Des professionnalités sous tension, Bruxelles, De Boeck Supérieur, pp. 169-187