COMPTE-RENDU DE LECTURE
Le Monde ou Rien
CAPDEPUY Vincent, Le Monde ou rien. Histoire d’un concept géographique, Presses Universitaires de Lyon, collection Espaces critiques, 2023, 169 pages.
50
histoires de mondialisation[1]
et Chroniques du bord du monde[2]
sont les deux premiers livres écrits par le géohistorien Vincent Capdepuy. Vient
de paraître son troisième ouvrage Le Monde ou rien. Histoire d’un
concept géographique[3] dans
la collection Espaces critiques aux Presses Universitaires de Lyon. Cette collection,
dirigée par le géographe Philippe Pelletier, publie des travaux portant sur « [des]
problématiques spatiales, territoriales et environnementales »
situés entre deux logiques, celles historique et géographique[4].
Dès
l’introduction, Vincent Capdepuy rappelle le parcours qui l’a mené de ses
années estudiantines jusqu’à l’écriture de cet ouvrage, en passant par sa thèse[5] sous
la direction de Christian Grataloup.
Comment penser
le Monde ? Voilà la question que se pose l’auteur : Pour appuyer son
archéologie lexicale, il insère des citations plus ou moins longues au sein de
son texte construit grâce à une abondante bibliographie accumulée aux fils des
ans et de ses recherches. Quels sont les principaux axes à retenir de cette
publication ?
* * *
1-Le Monde, un singulier pluriel.
Du
géographe-historien Ptolémée (IIe siècle avJC) au géohistorien Fernand Braudel
(XXe siècle), l’auteur étudie les différents mots servant à désigner « le Monde ».
Il analyse les équivalences, la synonymie ou non entre des termes comme Terrae, Kosmos, Oikoumene, Orbis, Universus ou Mundus. Ainsi,
dans une visionromanocentrée, le monde romain équivaut au Monde (connu). Puis
au fil des siècles, avec la « découverte » des autres mondes
(chinois, arabe, asiatique, voire méditerranéen chez Braudel[6]…),
« mondes » en vient à désigner des parties d’un tout, le Monde. Ce
n’est que progressivement que les particularités des mondes définissent une
singularité, le Monde avec une majuscule.
2-L’émergence du Monde.
Bien que « mondialisation » ne rentre dans les dictionnaires que dans les années 1980, ce terme et surtout son
usage sont bien plus ancien que ce que nous pouvions imaginer. Il apparaît dès la
fin du XIXe siècle-début XXe siècle. Cependant, il est exact qu’à la fin du XXe siècle, « mondialisation » prend un sens péjoratif notamment dans un
contexte de chômage et de crise économique. Il se charge d’un sens plus
économique, définissant essentiellement les échanges entre des espaces
spécialisés, notamment les villes mondiales.
Il y a une
compétition lexicale pour définir ce processus d’émergence : mondialisation,
internationalisation, universalisation, globalisation, voire planétarisation
s’échangent, se complètent voire s’opposent. Il existe une pléthore de mots
pour dire et surtout penser le Monde. Mais tous ne sont pas équivalents,
interchangeables, synonymes. Ainsi la globalisation n’est pas stricto sensu la
mondialisation ; la mondialisation n’est pas la planétarisation.
3- Dire le Monde autrement.
D’autres mots
dits « alternatifs » par Vincent Capdepuy ont été utilisés par des
auteurs pour dire le Monde sans que ceux-ci soient totalement et parfaitement
synonymes. De son côté, l’auteur différencie les trois termes suivants :
- La globalisation serait réservée à « un espace unique du globe terrestre par une interconnexion accrue [des humains] »[7],
- La planétarisation concerne « la prise de conscience environnementaliste subséquente à l’exploitation du milieu fini dans lequel les êtres humains et tous les autres êtres vivants peuvent subsister »[8],
- La mondialisation est « l’apparition d’un territoire commun par des êtres humains intégrés à une même société »[9].
On retrouve ici les trois
concepts étudiés par la géographie : espace, milieu et territoire.
4-Défaire le Monde
Le terme controversé
de « démondialisation » est aujourd’hui utilisé aussi bien par les
altermondialistes que par les souverainistes. Pour certains, la
démondialisation se comprend dans le sens d’une souveraineté retrouvée, avec
comme danger un retour du nationalisme et de la xénophobie. Comme le dit
Vincent Capdepuy, « assumer de défaire le Monde est une défaite de la
pensée »[10].
Il est de plus en plus difficile de faire Monde avec tout le
monde, avec tous les mondes. La diversité (ethnique, religieuse,
culturelle…) des mondes est une revanche sur la construction progressive du
Monde.
* * *
En conclusion, le concept de
Monde est donc tout autant un objet géographique qu’un objet philosophique.
Entre [l]e Monde ou rien, il existe tout un panel d’échelles
géographiques et de réflexions philosophiques que nous décrit avec une langue
précise et savante Vincent Capdepuy. On prend conscience, si ce n’était déjà
pas le cas, que les mots usités par les différents auteurs ont une importance
pour penser et caractériser le Monde. Ces mots traduisent une pensée voire une
idéologie sous-jacente : Pourquoi ce terme plutôt qu’un autre, quelle(s)
vision(s) du Monde ces mots trahissent ils ?
Compte-rendu ajouté à la page dédiée à Vincent Capdepuy.
[1]
CAPDEPUY Vincent, 50 histoires de mondialisations. De Néandertal à Wikipedia,
Alma Editeur, 2018, 466 pages. Voir le compte-rendu de lecture sur notre
site :
[2]
CAPDEPUY Vincent, Chroniques du bord du monde. Histoire d’un désert entre
Syrie, Irak et Arabie, Editions Payot et Rivages, 2021, 480 pages. Voir le
compte-rendu de lecture sur notre site : https://gaiaclioalecole.blogspot.com/2021/10/cr-de-lecture-vincent-capdepuy.html
[3]
CAPDEPUY Vincent, Le Monde ou rien. Histoire d’un concept géographique,
Presses Universitaires de Lyon, collection Espaces critiques, 2023, 169 pages.
[4]
https://presses.univ-lyon2.fr/menu/espaces-critiques
(consulté le 13 février 2024).
[5]
CAPDEPUY Vincent, Entre Méditerranée
et Mésopotamie : étude géohistorique d'un entre-deux plurimillénaire,
soutenue en 2010 sous la direction de Christian Grataloup.
[6]
BRAUDEL Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de
Philippe II, Armand Colin, première édition 1949.
[7]
CAPDEPUY Vincent, Le Monde ou rien. Histoire d’un concept géographique,
p.111.
[8]
Idem.
[9]
Idem.
[10]
Idem, page. 117.